Madeleine Michelis


Guérir le passé (pour) prendre soin de l'avenir

Il y a quinze ans, la figure de ma tante Madeleine Michelis était quasiment oubliée; son souvenir demeurait toutefois vivant au sein du lycée d'Amiens qui porte son nom, et à Fontaine-le-Port où elle est inhumée.
J'avais décidé, avec l'aide de mon mari, de lui consacrer un site pour lui redonner une présence.

Diverses manifestations ont ensuite remis son nom à l'honneur, puis, en janvier 2015 paraissait aux éditions du Félin sa "Correspondance d'avant guerre et de guerre" qui obtenait le prix littéraire de la Résistance 2015, décerné par le Comité d'action de la Résistance (CAR).

Parallèlement, je m'étais lancée dans l'écriture d'un livre personnel qui aurait du être publié au mois de mars sous le titre "Rues Madeleine Michelis". Le service de dépôt légal ayant été temporairement suspendu pour cause de "confinement", nous avons alors réactualisé ce site .
Ce livre vient de paraître.

Marie Claude Durand, le 10 avril 2020.      



Le temps suspendu (extrait)
« J’ai entre les mains la correspondance de M. Je n’y ai pas touché depuis mon adolescence et mes incursions nocturnes dans le meuble aux souvenirs.[...] Je dévore les lettres une à une en m’usant les yeux, car certaines, écrites sur du papier pelure, sont à peine lisibles. Je vis au rythme de l’avancée des troupes ennemies sur le sol français.[...] Je pars en exode sur les routes. Je pleure à l’annonce de l’armistice. Je compatis au sort des populations victimes des bombardements [...]. Je vois se mettre en place un régime policier. Je suis indignée en même temps que M lorsqu’elle écrit le 2 octobre 1940 : « Mesures odieuses contre les Juifs ». Je l’accompagne dans ses réflexions le 29 du même mois : « Pourquoi la majorité n’a-t-elle pas voulu comprendre plus tôt ! Il est tellement plus facile de s’opposer à ce qui va se faire que de desserrer le nœud qui vous étrangle. [...] Et j’entends presque sa voix, lorsqu’en post-scriptum d’une carte envoyée le 1 er juillet 1940, elle énonce : « Le désastre n’a pas fait de moi une chiffe, mais un roc.» 

Le meuble 1 - début des années soixante (extrait)
« Je l’ai vu pour la première fois chez mes grands-parents paternels, dans la petite maison qu’ils occupaient au fond d’une cour, rue de la Grenouillère à Veneux-les-Sablons.[...] C’est là que j’ai pris conscience de son existence : coincé entre le vaisselier et le fauteuil de mon grand-père, trapu, bas sur pattes, passe-partout, un meuble de rangement ordinaire, avec posés dessus un napperon, des brins de muguet dans un vase et dans un cadre de bois sombre la même photographie de M que je pouvais voir accrochée au mur dans le bureau de mon père.»

Le meuble 2 - 1966 (extrait)
« [...] je remarquai, éclairé par la lune, le meuble de mes grands-parents. Je n’y avais pas prêté attention en rentrant du lycée. Mes parents ne sachant sans doute que faire de cet objet hérité, l’avait mis sur le palier, entre ma chambre et le grenier. Que contenait-il ? Il ne me serait pas difficile de satisfaire ma curiosité...»

Le meuble 3 - Eté 1970 (extrait)
« À mon retour de pension, je découvris que ma chambre avait été réaménagée.[...] Une toile de jute bleue recouvrait désormais les murs, des rideaux grenat ornaient la fenêtre, et une portière du même tissu fermait un cagibi. Je la tirai. Elle dissimulait dorénavant la cuve. Mais ce n’était pas tout. Le meuble, en dessous, occupait presque tout l’espace. Il était relégué au rang de vieillerie dont on n’ose cependant pas se débarrasser. À moins qu’on ne sache que faire de son contenu ? J’éprouvais une sensation de flottement et un sentiment d’étrangeté, l’impression de me trouver une fois de plus hors-sol. Décidément, ma famille ne fonctionnait pas comme les autres. La fin de M expliquait-elle cette errance ?»

Le meuble 4 - Hiver 1987 (extrait)
« Je demandai à mon père s’il voulait bien me confier les lettres et documents qui concernaient sa sœur. Il débarqua chez nous les bras chargés de cartons. Il avait vidé le meuble de son contenu, y avait ajouté ses propres archives. Au fond il devait être soulagé.»

 

 

 

 

 

 

 

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